Le premier bain de l'année

C'est une question classique pour les sociologues, les économistes, les philosophes… et les croyants, si vous me demandez : Dans quelle mesure pouvons-nous choisir ce que nous faisons, Quelles décisions sont pleinement conscientes ? Il semble que très peu d’écrivains, plus doués en écriture, répondent sans complexes. chercher du sens a posteriori et mythifier les décisions aléatoires du destin.

C'est ainsi que je réagis lorsque je monte dans la voiture en frissonnant et avec la chair de poule, mouillée et pleine de sable. A quel moment décide-t-on de prendre le premier bain de l'année ? Pourquoi maintenant et ici ? Je suis sûr que quelque chose décide pour moi. C'est une sorte de soif inversée, un besoin que le corps et la peau identifient et transmettent à l'individu. L’instinct d’absorber un environnement, de transpirer l’énergie d’un lieu. Déshabille-toi et prends un bain, me dit ma peau.

Seixal, à Madère, apparaît derrière un tunnel. La baie, coincée entre les montagnes, repose devant une petite plage de sable noir. Le quai, le port et les maisons sont protégés, compacts, des falaises basaltiques et du large. Les vagues arrivent comme un effet d'optique, si transparentes et si douces. Les navires flottent dans l’éther. Il est tôt le matin et les quelques personnes déjà arrivées commencent à peine à se mouiller les pieds. Cela ressemble à une beauté classique à laquelle on ne touche pas. Mais dès que l’on descend de la voiture, l’instinct entre en jeu. Tout sera inconfortable : pas de maillot de bain, pas de serviette, pas de sous-vêtements pour plus tard… mais pendant que la tête y réfléchit, les vêtements sont déjà sur les chaussures et un pied entre dans l'eau.

Chaque année, le même rituel. Un moment magique, au sens le plus littéral du terme. Dans d'autres printemps, je me délecte d'imaginer comment vais-je exécuter cet exercice de reconnaissance de la nature, ce qui me rappelle d'ailleurs un baptême inversé : au contact de l'océan, le corps le bénit, certifie la régénération d'un cycle, la naissance de l'été quand il n'est pas encore surchauffé, alors qu’il s’agit d’une (fausse) promesse que ce moment se répétera jusqu’en septembre.

Par conséquent, ces bains baptismaux sont généralement prémédités, planifiés le jour et la plage appropriés. Mais aucun ne reste aussi gravé que les bains spontanés –une des rares sensations qui, comme un orgasme, vide l’esprit ; le froid, l'eau dans tes oreilles, le sel dans tes yeux… ils aspirent tes pensées, ils te rétrécissent pendant le moment de douleur nécessaire pour le plaisir de se diluer dans les bras de la mer.