Il n'y avait pas de mot pour nous : il n'y a pas de charnego ni de mannequin à Madrid. Nous étions cela, tout au plus, ce qui n'est pas peu, provincial. Et maintenant : que sommes-nous ? Quand cesse-t-on d’être un outsider ? Une fois que vous aurez appris le jargon ? Êtes-vous déjà allé au Bernabéu? Avez-vous déjà eu des enfants à 25% de chats ? L'ont-ils enterré une fois à Almudena ?
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Personnellement, je ne veux pas être de Madrid, ni d'ailleurs.. Mais me voilà entouré de tous côtés par Madrid. Naufragés des identités. L'étranger du 15 mai. J'ai fait le calcul et il me reste de nombreux après-midi sur cette place. Je pourrais quitter Madrid, sans succès, retourner dans la province, qui est presque un fantôme, et laisser le tour des grues, les travaux du métro, les auvents verts, les briques apparentes, et laisser un morceau de qui je suis dans un ville qui ne me regarde pas dans les yeux. Je pourrais partir, menaça-t-il, de la même manière que Pizarnik menaçait de partir ; elle, trop loin : « un jour peut-être/ je partirai sans rester/ je partirai comme quelqu'un qui part. »
Il y a des provinciaux qui ont réussi, je suppose. Et ils vivent à l’intérieur du M-30, sacrifiant leurs 40 heures et la totalité de leur salaire.. D'autres avaient moins, je dirais, et vivent au sein du M-40, sacrifiant leur salaire et leur désir de passer un week-end amusant. D'autres ne le savent pas et dorment et rêvent encore sur un périphérique inconnu. « Réveillez-vous, somnolents », disaient à ce dernier les zapatistes de Zapata et le sous-commandant.
Il est alors temps d'arrêter de rêver. Et faire quelque chose, avant de devenir un poème, et je ne veux pas dire se transformer en Alexandrins ou faire rimer nos hypocrisies, je veux dire se transformer spécifiquement en poème de José Emilio Pacheco, celui intitulé Les anciens collègues se retrouventet c'est aussi simple que ce verset : «Nous sommes déjà tout/contre quoi nous nous sommes battus à vingt ans».