De quoi a besoin une nature morte pour attirer notre attention ? Si nous demandions au Caravage, il nous répondrait par un trompe-l'œil radical. Votre objectif serait faire douter l'observateur de sa capacité à toucher la corbeille de fruits qui apparaît sur la toile. Les peintres de l'école flamande, dans l'actuelle Belgique, chercheraient à éblouir par une profusion excessive de fruits, de gibiers et d'assiettes en céramique. Les artistes hollandais, au contraire, montreraient une table sur laquelle les restes d'un banquet sont éparpillés en désordre.
Ces approches ne répondent pas à un caprice, mais à façons d'appréhender un genre qui, au XVIIe siècle, était conçu comme vanités, c'est-à-dire comme une manière de représenter la fugacité, le passage. Nos corps, tout comme la nourriture et les fleurs présentées dans ces œuvres, disparaîtront, avalés ou pourris. D'où la présence habituelle d'insectes.
Le génie créateur du Siècle d'Or espagnol a trouvé sa propre solution, ce qui a conduit à considérer des natures mortes comme celle exposée temporairement (jusqu'au 30 juin) au Musée du Prado, signée par Francisco de Zurbarán, parmi les plus hautes expressions du genre. En passant par la salle 10A du musée, qu'est-ce qui nous fait arrêter avant Nature morte aux citrons, oranges et roses?
La vue nous amène au centre de la table, où l'on trouve un panier d'oranges. Des feuilles et des fleurs de fleur d'oranger pendent à ses tiges. Des deux côtés il y a deux plaques d'étain (un alliage d'étain, de cuivre et de plomb, très courant à l'époque). Dans l'un d'eux sont entassés quatre citrons (un fruit de la famille des citrons), et dans l'autre repose une tasse en céramique avec de l'eau. Sur son bord, une rose. La table s'étend uniformément, éclairée sur le côté.
Zurbarán ignore les lois de la perspective et traite chaque objet de manière autonome. Sur le fond sombre, Il décrit avec précision la texture de la peau des citrons, des oranges, l'osier du panier, la surface de la coupe et le reflet du métal. Cela rend chaque élément réel tout en conservant un certain degré d’abstraction. La tasse est l'idée d'une tasse. Le cédrat est l'idée d'un cédrat. L'équilibre suggère la légèreté.