Le nécrotourisme a toujours existé. Avant, c’était une curiosité furtive qui nous incitait à « jouir » de l’art mortuaire dans le plus strict périmètre de silence. Aujourd’hui, cette barrière n’existe pas. Ou du moins, il a langui assez longtemps pour passer à un niveau plus culturel. Parce que de nombreux cimetières sont déjà conçus comme un centre d’interprétation de la mémoire et comme une radiographie du patrimoine artistique de la ville. Beaucoup de ces cimetières proposent des visites guidées, peut-être pour nous rappeler que l’art va au-delà de la mort.
La Recoleta : le cimetière Art Nouveau de Buenos Aires
Il a été construit en 1822 et est devenu le premier cimetière public de la ville de Buenos Aires. C’est l’un des cimetières où s’est ouverte la porte de l’extravagance et du goût de l’art. C’est l’endroit où repose éternellement Evita Perón, l’une des figures les plus influentes de l’histoire de l’Argentine. Les classes riches étaient chargées de construire des mausolées si ornés qu’il est impossible de ne pas être perplexe en se promenant dans les rues du cimetière. Il est possible qu’à cause de cela, il soit devenu l’un des endroits les plus chers pour être enterré. On dit même qu’« une vie d’excès et de luxe coûte moins cher qu’une mort à Recoleta ».
Un mausolée qui reflète ce goût pour l’extravagance dans le cimetière de Recoleta est celui de la famille Dorrego Ortiz. Il s’agit d’une chapelle construite comme une chapelle de style Art Nouveau, œuvre de l’architecte français Louis Dubois qui reflète le pouvoir économique dont disposaient ces aristocrates. À Recoleta également, il y a des tombes très curieuses comme celle de Rufina Cambaceres, également conçue dans le style Art Nouveau. La légende raconte que cette fille d’aristocrates fut enterrée vivante après une crise de catalepsie. On sait que sa mort a été soudaine, mais l’enterrer vivante relève peut-être de l’imaginaire collectif de l’époque. Il y avait un certain plaisir à inventer des ragots de cette ampleur. D’une manière ou d’une autre, sa statue semble ouvrir la porte du mausolée, comme s’il voulait y entrer à nouveau.
Okunoin, la forêt de lanternes sacrées au Japon
Le mont Koya est l’un des piliers fondamentaux de la pratique du bouddhisme au Japon. Ce lieu sacré, déclaré site du patrimoine mondial par l’UNESCO en 2004, a été le lieu choisi pour construire l’un des cimetières les plus fascinants de la planète, l’Okunoin. Construit dans la forêt de cèdres du mont Koya, Okunoin est le plus grand cimetière du Japon et l’un des chemins de pèlerinage les plus importants du pays. Le nombre de visiteurs est tel qu’en plus des itinéraires guidés à travers le cimetière, toute une activité touristique s’est développée autour du mont Koya, proposant tout, depuis les itinéraires à travers les sanctuaires jusqu’à l’hébergement dans un temple bouddhiste. C’est ce qu’on appelle shukubo ou « coucher avec les moines ».
L’expérience d’Okunoin est choquante. Deux kilomètres séparent le pont Ichinohashi, qui sert d’entrée, du temple de Kobo Daishi, fondateur du mouvement bouddhique Shingon établi sur le mont Koya. Au cours du parcours, apparaissent de petits mausolées et des tours commémoratives de grandes familles, de propriétaires terriens et même de samouraïs. Il y a des tombes pleines de mystère comme celle de Zenni Jochi, une religieuse bouddhiste dont on dit que si l’on met son oreille près de la pierre tombale, on peut entendre les cris de l’enfer. À côté du mausolée Kobo Daishi se trouve Torodo, une salle avec plus de 10 000 lanternes allumées. La légende raconte que certaines de ces lanternes sont allumées depuis plus de mille ans.